
Alexandra Mac Kargan
Autrice de romances contemporaines et l'imaginaire

Chapitre 1 : L’ABÎME
Vicky Chamori
— Dans sa demeure de Neuilly sur Seine
Pourquoi ai-je accepté ? Je n’ai vraiment envie de voir personne. J’aime beaucoup Amandine mais… Elle va vouloir me bousculer. Me sortir de mon « marasme », comme elle dit. Et ça, je n’y suis pas prête !
Comment pourrais-je l’être ? Comment passer en quelques jours du bonheur parfait avec un mari aimant, attentionné, un fils adorable, une maison, une vie sereine à… Je n’arrive toujours pas à le formuler.
Bon sang, Vicky ! Il a demandé le divorce. Sans discussion. Même pas en personne. Recevoir ça par courrier, c’est d’une violence ! Rien que d’y penser, je me sens oppressée, les larmes montent et inondent mon visage sans que je puisse les retenir.
En plus… il refuse de répondre à mes appels. C’est incompréhensible. Je n’ai eu droit qu’à un petit SMS assassin :
« Vois avec mon avocat. C’est mieux comme ça. »
Pas un argument. Pas un bonjour. Rien. Il ne me reste que le vide de l’absence, alourdi d’un tas monstrueux de questions sans réponses.
Est-il menacé ? Malade ? Je pourrais le rejoindre sur le lieu de son prochain concert pour lui demander des explications ? Mais il n’a jamais apprécié que je débarque dans son milieu professionnel. Enfin, non… Au début, quand j’étais encore une actrice en vogue, il aimait ça.
La sonnerie interrompt ma énième descente aux enfers. Secoue-toi, Vicky ! Sans un mot, j’ouvre la porte à Amandine. Son coup d’œil avant d’entrer lui arrache une grimace. Évidemment, je ne vais pas bien. J’ai une sale tête. Elle ne le dira pas, c’est inutile.
— Bonjour, ma chérie. Comment tu te sens ?
Avec la force de l’habitude, Amandine rejoint la cuisine et nous prépare deux expressos bien dosés. Je la suis, amusée malgré mon humeur morose par nos coutumes de vieux couple. Vingt ans, depuis le premier contrat qu’elle a négocié pour moi. Le film qui a lancé ma carrière, même si j’avais déjà fait quelques apparitions remarquées. Alors qu’elle pose ma tasse, sur la table, devant moi, je me heurte à son regard inquisiteur. Assise en face d’elle, je fanfaronne :
— Je pète la forme. Et toi ?
Un sourire compatissant sera son unique réponse. Elle attaque sans tergiverser :
— Tu as trouvé un avocat ?
Son obsession depuis qu’elle a appris la nouvelle ! Malgré moi, je laisse percer un léger agacement :
— Pour quoi faire ?
Avec calme, elle reprend ses arguments habituels :
— Pour t’accompagner dans les démarches du divorce. Tu ne peux pas faire ça toute seule.
— Allan en a un. Ça suffira bien.
Elle soupire. La douceur de sa voix ne masque pas sa désapprobation :
— Il va défendre les intérêts de ton mari. Pas les tiens. Tu en es consciente ?
— Mais non. Nous sommes deux personnes sensées. Il n’y a pas de raison que cela se passe mal.
Évidemment, elle ne se gêne pas pour appuyer sur ma blessure la plus profonde :
— Tu trouves ça « sensé » de te ghoster ? De ne pas avoir discuté au moins de vive voix ? D’avoir imposé une décision unilatérale sans…
Devant mes larmes qui s’invitent dans la conversation, elle contourne la table pour me prendre dans ses bras :
— Pardon, Vicky. Je ne veux pas te faire de mal. Malheureusement, il faut que tu te rendes compte de la situation réelle. Ce n’est pas celle que tu fantasmes. Tu dois te préparer à toute éventualité. Tu comprends ?
Je sais qu’elle souhaite m’aider. Pourtant, elle ne connaît pas Allan aussi bien que moi. En plus, si elle a toujours fait bonne figure devant lui, j’ai souvent eu la sensation qu’elle ne l’appréciait pas beaucoup. Cela vient-il du fait qu’elle soit une féministe pure et dure ?
Je n’aime pas penser ça. Il est vrai, cependant, qu’elle n’a jamais été très
indulgente avec les « mecs » comme elle les appelle !
— De toute façon, tu es la seule avocate que je fréquente.
— Les affaires familiales, ce n’est pas mon domaine. Il te faut une spécialiste.
En plus… Je n’ai pas le temps de protester qu’elle a déjà sorti une carte de visite de son sac à main :
— On a de la chance : je connais la meilleure. Je te dirais bien de l’appeler mais, pour le coup, je n’ai aucune confiance en toi. Tu n’as rien de prévu ?
— Je dois m’occuper de Hugo quand il rentre de l’école et…
— OK, cela nous laisse donc les journées de libre. Son cabinet est à la Défense. Ce n’est pas très loin.
Bras croisés, je manifeste mon refus :
— Je n’ai aucune envie de me coltiner une harpie qui va s’ingénier à nous monter l’un contre l’autre. La situation est déjà suffisamment complexe.
Peine perdue : elle a décidé de n’en faire qu’à son idée ! Elle ajoute :
— Écoute… La voir ne t’engage à rien. Je te demande juste de me faire confiance et de la rencontrer. C’est une amie.
Ah… Voilà qui est censé tuer dans l’œuf toute velléité de rébellion, non ? Pourtant, ce n’est pas pour ça que je cède d’un signe de tête. Elle s’empresse de dégainer son téléphone, avant que je ne change d’avis, j’imagine. La Défense… Madame l’avocate doit rouler sur l’or pour y avoir ses bureaux. Je visualise déjà une grande blonde platine au sourire carnassier avec des dollars plein les yeux. Le genre de personnage que je déteste.
Une gorgée de café me fait un bien fou. Comme s’il refoulait la bile qui menace de me submerger… Mon regard s’attarde sur Amandine. Toujours tirée à quatre épingles. Une beauté naturelle qui ne s’ignore pas. Elle a constamment eu la confiance en elle qui me fait défaut encore aujourd’hui. Encore plus aujourd’hui…
Elle joue de ses longs cheveux auburn, de son sourire enjôleur, même au téléphone, et de son dynamisme à toute épreuve. Bien que j’aie arrêté ma carrière après mon mariage, elle est restée présente, dans les bons comme les mauvais moments. Elle s’inquiète pour moi, c’est évident. Comment la rassurer ? Je n’en mène pas large moi-même ! Ma vie est sens dessus dessous. Je ne sais absolument pas comment réagir…
— Demain, quatorze heures trente à son cabinet. Je passe te prendre une demi-heure avant.
— Tu lui as dit que c’est une perte de temps ?
Elle éclate de rire et, avec un sourire énigmatique, elle m’assène sa vérité :
— Personne ne résiste à Callista Eduran.
*
Callista Eduran… Ce nom flotte dans un coin de ma tête alors que j’écoute distraitement Hugo. Il me raconte sa journée de pré-ado de dix ans, avec moins d’enthousiasme qu’à l’ordinaire. J’imagine qu’il se pose des questions aussi, même si j’ai tenté de bien lui expliquer la situation.
Son père n’a jamais été très présent pour lui. Plus exigeant que paternel pour tout dire. Pourtant, il le vénère presque. Aupoint de prendre des cours de guitare, alors que je suis persuadée qu’il déteste ça.
— Il rentre quand papa ?
Son regard anxieux me brise le cœur.
— Je t’ai expliqué, mon chéri. Papa va vivre ailleurs, au moins pour un moment.
— Mais il va revenir ?
Que puis-je répondre à ça ? Comment un enfant de dix ans pourrait entendre ce qu’en tant qu’adulte, je ne comprends pas ? Je le serre dans mes bras très fort. Il finit, cependant, par me repousser durement.
— Il ne peut pas nous jeter comme ça, hein ? Il a pas le droit !
Il retient ses larmes mais sa voix est montée dans les aigus, à la hauteur de son désespoir.
— Pour l’instant, c’est compliqué, chaton. Il ne nous jette pas. Il a juste besoin d’un peu de temps pour lui. Dans quelques semaines, on en saura plus.
Je lui mens… Ou je me leurre moi-même ? J’aimerais tant me réveiller de ce cauchemar. Comment accepter ce que l’on ne comprend pas, ce qui n’a pas de sens ? Alors que la douleur m’envahit, mon regard s’échappe vers l’horizon triste et gris qui nous entoure. Je ne sais déjà pas où il est. À l’hôtel ? Chez un ami ? La tournée est terminée, à
présent…
— Je t’aime, maman. On va être forts.
— Oui, mon chéri.
— C’est sûr, il reviendra.
Je n’ai pas l’énergie nécessaire pour le contredire. Même pas pour apporter un bémol à sa conviction. En même temps… S’il avait raison ?
Alors qu’il rejoint sa chambre pour faire ses devoirs, Maître Eduran hante de nouveau mon esprit. Si je veux avoir une chance de sauver mon mariage, il est vital qu’elle n’envenime pas la situation ! Autant demander à un dragon de ne pas éructer des torrents de flammes ! Un dragon avec des crocs proéminents, bavant de l’acide et crachant le feu de l’enfer. Un dragon qui va me tétaniser avec ses petits yeux vicieux de
prédateur impitoyable…
Mon rythme cardiaque accélère. J’imagine le pire : une harpie agressive, qui cherche le conflit, qui pousse l’adversaire au bord du gouffre… Je ne veux pas la voir ! C’est inutile !
Suivez-moi sur :
-
Facebook
-
Tiktok
-
Pinterest
-
Thread
-
Ma page Amazon
-
Ma page Kobo/Fnac
-
Ma page Google Livre