
Alexandra Mac Kargan
Autrice de romances contemporaines et l'imaginaire

Chapitre 2 : MAÎTRE
Callista
Eduran — Dans son cabinet de la Défense
— Bordel ! Qui m’a foutu une machine pareille ?
Ferme les yeux, Calli. Essaie de visualiser un étang. Calme, zen, reposant. Peine perdue ! Le téléphone n’arrête pas de sonner, Marie ne sait plus où donner de la tête ! Entre les clients actuels, les potentiels futurs, les journalistes, les avocats des parties adverses… Pendant ce temps, moi, la grande et émérite Callista Eduran, je me retrouve à batailler avec cet engin du diable pour des photocopies ! S’ils m’espionnaient en cet instant, je serais la risée de mes concurrents : Kali[1], la pourfendeuse d’époux infidèles, comme ils me surnomment, ravalée au rang de simple secrétaire !
Si ma mère me voyait, elle serait horrifiée également ! Je me fais sourire toute seule en imaginant sa mine désapprobatrice, si elle venait à franchir le seuil de ce cabinet qu’elle a créé et amené au sommet à la force du poignet, si je puis dire !
— Ahhhh !
Encore en PLS[2] ! Je me retiens de balancer un coup de pied bien placé sur la machine récalcitrante. D’abord parce que cela ne servirait à rien. Ensuite, parce que c’est le meilleur moyen de flinguer mes talons, voire de me retrouver sur mon divin postérieur !
— Tu veux un peu d’aide ?
Le sourire moqueur de Patricia, mon associée et amie, me donne une furieuse envie de l’envoyer balader. Mais non, je suis plus intelligente que ça. Avec un rictus provocateur, je lui refile mon dossier. Pour faire bonne mesure, j’ajoute :
— Tu es trop chou !
Je me précipite vers mon bureau, avant qu’elle refuse tout net. Avec un sourire en coin, elle réplique :
— À charge de revanche !
Bien sûr ! Avec la photocopieuse, cela ne risque pas, je suis allergique à ces machines du diable ! Du reste, elles me le rendent bien. J’ai à peine le temps d’ouvrir mon PC qu’elle s’invite dans mon bureau avec l’air triomphant qui va bien :
— Voilà, Maître, votre dossier dûment photocopié, dans les règles de l’art.
— Merci. N’en fais pas trop. Ce n’est pas le jour.
Elle fronce les sourcils et hésite un instant avant d’insister :
— Ta conciliation avec les Maurice s’est mal passée ?
— Oui. Mais c’était prévu.
Le temps de rejeter quelques boucles de sa chevelure d’ébène vers l’arrière, d’un mouvement gracieux, elle insiste ourdement :
— Ta chère et tendre t’a mise à la porte ?
J’en souris malgré moi. Elle sait pertinemment que je suis célibataire de longue date. Je le revendique assez souvent pour que cela ne lui ait pas échappé !
— Calli ? Tu es malade ?
Son ton inquiet me fait relever la tête. Je soupire avant de lâcher le morceau :
— Non. J’ai juste un rendez-vous pénible dans vingt minutes.
Elle a retrouvé l’assurance nécessaire pour continuer son enquête :
— Pénible comment ? Pourquoi ?
Je m’énerve et m’emporte, rien qu’en évoquant le problème :
— Une vieille copine qui veut que je représente « sa meilleure amie » pour son divorce mal engagé.
— Oh… Tu es vexée de ne pas être sa « best » ?
Non, mais elle me cherche là !
— J’ai cinquante ans, Pat ! Les gamineries, c’est plus de mon âge.
— Quarante-huit ! En plus, tu ne les fais même pas. Donc ? Le problème ?
On a l’habitude de parler de nos a faires pour trouver les stratégies les plus efficaces. Pour la mienne pourtant, il n’y a pas grand-chose à en dire. Juste un ressenti :
— Je connais bien Amandine. Elle est têtue. Je suis convaincue qu’elle m’a imposée à son amie. Encore une qui est persuadée que son ex va être tout à fait équitable sur le partage. De ce fait, elle n’aurait pas besoin d’avocate.
Elle hoche la tête et m’assène sa logique parfaite :
— Tu ne veux pas. Elle ne veut pas. Ça ne se fera pas. Au pire, tu vas perdre vingt minutes. Peut-être même dix. Tu es Callista Eduran ! Rien ne te résiste.
Heureusement que je garde les pieds sur terre ! Rien ne résiste à ma détermination couplée à mon travail acharné, surtout. Bref… Vingt minutes. Elle a raison sur ce point.
Avec un clin d’œil, elle quitte le bureau de sa démarche chaloupée. Je comprends la jalousie de sa copine Béryl : elle attire immanquablement les regards, aussi bien des hommes que des femmes !
*
Dix minutes que je tourne en rond en essayant de mettre à profit cette courte attente ! Rien à faire, mon cerveau refuse de se focaliser sur le moindre dossier…
J’aurais dû convier Patricia à cette prise de contact. Elle excelle dans la diversion : d’abord par sa beauté naturelle et son caractère solaire, ensuite par ses réparties bien senties. Sans compter que, la plupart du temps, la surprise, voire l’indignation de nos adversaires, joue en notre faveur : une avocate noire, cela ne court pas les rues dans notre niche. Entre racisme et condescendance, nos opposants perdent souvent le fil des négociations. Et Patricia se régale à les provoquer !
Mais pas de concurrents, ici. Je vais devoir gérer Amandine seule. Les souvenirs remontent. Il y a bien longtemps que je ne l’ai pas vue. Je n’ai, cependant, pas oublié nos années de fac. Elle avait un appétit féroce d’expériences en tout genre et elle m’a fait faire les pires bêtises ! Heureusement, rien d’illégal, elle n’était pas folle à ce point.
Elle a un don de persuasion hors du commun, un pouvoir de séduction illimité. Je ne suis pas sûre d’avoir acquis assez de maturité pour y échapper, encore aujourd’hui. Enfin, normalement, elle est toujours hétéro, je suis tranquille de ce côté-là… Oh, ça suffit, Callista ! Tu es la terreur des divorces, tu ne vas pas trembler devantune avocate d’affaires !
Je jette un coup d’œil au miroir. L’étudiante en droit est bien loin. Mais la femme et la professionnelle du barreau ont acquis de l’assurance. Arrête de laisser la bride à tes souvenirs. Concentre-toi sur le présent. Amandine doit passer au second plan. Ton unique objectif est de cerner ta « future » cliente, comme pour n’importe quel dossier.
Forte de cette résolution, je me dirige d’un pas décidé vers la salle de réunion. Il me reste sept minutes pour faire le vide : me préparer un petit café est une riche idée. Une gorgée du précieux nectar me recentre sur ses arômes. Douceur et amertume se mêlent pour
une harmonie parfaite. Une sérénité bienvenue m’envahit. Elles ne vont pas tarder. Je suis prête.
La sonnerie déchire le silence. Encore quelques secondes de répit avant que Marie me les amène. Un coup discret sur la porte. Ma voix est ferme, aussi assurée que possible :
— Entrez !
Ma secrétaire s’efface. Une Amandine radieuse et toujours terriblement séduisante s’avance, avec ce que je jurerais être un sourire moqueur. Pas le temps de froncer les sourcils, de me demander quelle blague elle a préparée, mon regard s’est naturellement porté vers son amie… Oh, bordel ! Je n’en crois pas mes yeux.
— Ma chère Calli ! Quelle joie de te revoir !
J’essaie de refaire surface mais le choc est encore présent :
— Joie partagée, je constate que tu n’as pas changé.
Aucun doute, elle a capté le sous-entendu. Avec l’air d’un chat qui déguste un bol de lait, elle me présente la nouvelle venue :
— Je suppose que tu as reconnu ton idole, Vicky Chamori ? De son vrai nom Victoria Moricha, pour ton dossier.
Elle ne doute de rien et se fait un plaisir de mettre les pieds dans le plat. Forte de mes années de bluff dans les négociations des conventions de divorce, je parviens à rester de marbre. Alors même que mon estomac ne cesse de faire des loopings ! Bon sang… Vicky
Chamori en personne, devant moi !
Je réalise soudain le silence qui s’éternise. Son teint a légèrement rosi alors qu’elle ne semble pas savoir comment réagir. Ses grands yeux bleus me scrutent intensément.
— Enchantée, madame Moricha. Malgré la présentation peu orthodoxe de notre amie commune, ne doutez pas ! Mon total professionnalisme est à votre service pour traverser au mieux cette période éprouvante.
Quelle maladresse, Calli ! Entre fan non assumée et ego malvenu, la pauvre ne risque pas de se détendre !
— Je vous en remercie, Maître.
Alors que je leur désigne les chaises derrière moi pour prendre place, je fusille Amandine d’une œillade assassine. La garce est ravie de son coup. Elle ne le cache même pas !
— Je peux vous offrir un café ? Un thé ?
C’est Amandine qui me répond, évidemment :
— Deux expressos, s’il te plaît.
Le temps que le premier coule, j’observe Vicky. Son regard s’est perdu vers l’extérieur. Il émane de toute sa personne, une tristesse, une douleur, qui me bouleverse littéralement. Oppressée, je cherche une explication sur le visage d’Amandine, alors que je dépose sa tasse. Sa grimace me confirme mon impression : son amie n’a aucune envie d’être là. Il me suffirait de la bousculer un peu pour qu’elle décampe sans demander son reste et que l’histoire s’arrête, avant même d’avoir commencé.
J’en suis encore à hésiter sur la décision à prendre quand elle me remercie d’un regard à son tour. Le sentiment de détresse qu’elle m’envoie décuple mes émotions en une seconde. L’évidence s’impose : impossible de l’abandonner ! Ce serait renier toutes mes valeurs.
La confection de mon propre café me sauve, momentanément. Zen, Calli. Elle a besoin d’une avocate pro, efficace. Ne te laisse pas submerger par ton ressenti. Les faits, rien que les faits !
[1]Kali
est, dans l’hindouisme, la déesse de la préservation, de la transformation, de la destruction. C’est une forme terrifiante de Pārvatī représentant le pouvoir dévastateur du temps. Celui qui la vénère est libéré de la peur de l'anéantissement. Elle démolit le mal sous toutes ses formes et, notamment, les branches de l’ignorance (avidyā), telles que la jalousie ou la passion. Kali est considérée comme la force qui détruit les esprits mauvais et qui protège les dévots.
[2]
Position Latérale de Sécurité : on met une personne en position latérale pour éviter qu’elle se blesse ou s’étouffe après un malaise. La photocopieuse a donc fait… un malaise.
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