Paradisia T3 - Le soleil de Ribeyrol

« Un bruit de pas reporte mon attention vers l’entrée. Lisa me décoche un sourire triste, la mine complètement défaite. Elle s’approche pour la bise du matin et un câlin de réconfort.

— Tu n’arrives pas à dormir non plus ?

Elle secoue la tête et ajoute :

— Comment va Sasha ?

Je lui prépare un café bien serré. Assises l’une en face de l’autre, autour de cette table qui a connu des heures plus joyeuses, nous nous comprenons à demi-mot. Alors qu’elle déguste sa première gorgée, je lui réponds enfin :

— Chaque nouvel article lui fait beaucoup de mal. Elle a l’impression que cela ne s’arrêtera jamais. Elle dort pour contrôler son stress. Je ne m’explique pas comment ça marche mais cela lui permet de s’accorder un break.

— Qu’est-ce qu’on peut faire ? C’est quand même dingue ! Cette fille nous pourrit la vie, sans raison.

— Oh, si ! Des raisons, elle en a. Se faire un nom, décrocher un prix prestigieux, faire vendre son torchon et récupérer une augmentation, proposer ses articles au plus offrant…

Sans la moindre trace d’humour, elle me surprend :

— Et si on lui cassait la gueule ?

— Tu n’es pas sérieuse ?

— Les musiciens de mon ancien groupe n’auraient pas hésité. Et pour moins que ça ! Ça me bouffe : Sasha ne mérite pas cet acharnement !

Avec un sourire triste, je reste sur mes positions :

— C’est vrai. Ce n’est pas une raison pour s’abaisser à son niveau. J’essaie d’éviter de me laisser aveugler par la colère. En ce moment, ce n’est pas facile, je l’avoue.

Avec une moue grognon, elle s’appuie sur le dossier de sa chaise :

— C’est dingue quand même. Avant cet article, on parlait bébé. Et maintenant…»

« Je me souviens très bien de son regard inquisiteur. Aussi bien lors de la conférence de Barcelone que des concerts, où j’ai dû l’empêcher de traîner backstage[1] plus d’une fois. Insondable… J’ai tendance à ne pas enregistrer les visages des gens. Mais elle et ses iris myosotis, ils sont bien restés gravés dans ma mémoire. Leur beauté me fascine, ce qu’ils cachent me terrifie. Que veut-elle ? Jusqu’où ira-t-elle pour un scoop ?

Surtout, ne pas rentrer dans son jeu. Me tenir loin d’elle, le plus possible. Bon sang ! J’ai oublié de dire à Alissa de ne pas lui filer mon numéro ! En même temps, elle n’a pas de raison de le faire. Je panique pour rien. Cette fille me chamboule trop. Je n’aurais pas dû accepter de les accompagner. Sauf que je n’avais pas le choix…

Un claquement de portière à l’extérieur de la cour attire mon attention. Romain ? Oui, c’est bien lui qui se glisse dans l’ouverture avant même qu’elle ne soit totale. Il aurait pu nous dire à quelle heure il arrivait, on serait allées le chercher à la gare ! Rayonnant, il s’assied près de moi, sur un transat :

— Tu as une sale tête ! Un problème ?

Ah… Ça se voit donc tant que ça ? Je soupire :

— Cette journaliste m’angoisse. Je ne sais pas ce qu’elle espère.

Il éclate de rire sans que je m’explique pourquoi. Sans se démonter devant mes sourcils froncés, ses éclaircissements ne tardent pas :

— Toi ! Elle te veut toi ! »



[1] En coulisses.