Utopia T3 - L'étoile de Ribeyrol

Voilà, le rendez-vous avec la journaliste est fixé à demain, dix-sept heures. J’avais songé à utiliser l’hôtel où ils avaient fait le premier concert en acoustique. Sauf que Ben y a défendu leur vie et que le harceleur de Jo y a perdu la sienne. Je ne peux pas prendre le risque que cela lui tombe dans les oreilles ! Ce serait pire que tout. Rien que d’y penser, j’en ai des sueurs froides.

Je me souviens très bien de son regard inquisiteur. Aussi bien lors de la conférence de Barcelone que des concerts, où j’ai dû l’empêcher de traîner backstage[1] plus d’une fois. Insondable… J’ai tendance à ne pas enregistrer les visages des gens. Mais elle et ses iris myosotis, ils sont bien restés gravés dans ma mémoire. Leur beauté me fascine, ce qu’ils cachent me terrifie. Que veut-elle ? Jusqu’où ira-t-elle pour un scoop ?

Surtout, ne pas rentrer dans son jeu. Me tenir loin d’elle, le plus possible. Bon sang ! J’ai oublié de dire à Greg de ne pas lui filer mon numéro ! En même temps, il n’a pas de raison de le faire. Je panique pour rien. Cette fille me chamboule trop. Je n’aurais pas dû accepter de les accompagner. Sauf que je n’avais pas le choix…

Cette femme est pour le moins déstabilisante. Elle avance carte sur table, tout en paraissant plus intéressée par Esmé que par cette rencontre qu’elle a réclamée à cor et à cri. Se pourrait-il qu’elle ait fait un tel barouf uniquement pour entrer en contact avec Esmé ? Parce que, quand même, elle est en mode séduction là et ni Lisa ni moi ne sommes sa cible ! Essayons de la recadrer un peu. Gentiment.

— Vivianne, imaginez un instant que ce que vous avez écrit soit vrai. À votre avis, comment vont réagir les non aspies ?

En utilisant son prénom, j’étais assurée d’avoir toute son attention. Je récolte en prime un sourire éclatant.

— Eh bien, comme moi, ils vont se poser des questions. Peut-il renouveler cet exploit ? D’où lui vient cette capacité ? Est-il d’essence divine ? Et des millions d’autres ! Vous vous rendez compte des perspectives pour l’humanité ?

Se moque-t-elle de nous ? Elle ne peut pas être naïve à ce point ! Je choisis pourtant d’ignorer la colère que je sens remonter devant son inconséquence :

— Je crains, hélas, que les réactions soient complètement différentes. La peur, la jalousie, l’appétit de pouvoir pousseraient des énergumènes de tous poils à faire la chasse aux aspies. Soit pour les éliminer, soit pour profiter de leurs capacités. Et forcément les buts poursuivis seraient vils et vénaux. C’est la partie sombre de la nature humaine.

Bouche ouverte, elle semble surprise par ma réponse. Elle reprend vite le fil, cependant :

— Chère Johanna, vous exagérez. La soif de richesse ne corrompt qu’une petite portion de la population.

Elle est journaliste. Elle ne voit rien de ce qui se passe dans le monde ?

— À la lumière de ce que diffusent les médias des noirceurs de ce monde, soit vous vous moquez de nous, soit vous êtes d’une naïveté confondante.